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Chanson en breton sur feuille volante (fin 19ème siècle) énumérant et critiquant les superstitions en Basse-Bretagne.

 

CHANSON NEVEZ WAR SUJET AR SUPERSTITIONNOU

(Chanson nouvelle au sujet des superstitions)

Serge Nicolas

Articles parus dans Musique Bretonne, n°152, 153 et 154) http://www.dastum.com

 

Parler de superstitions implique la référence à une idéologie dominante, philosophique ou religieuse. L'archéologie des croyances (ou l'histoire des religions) montre souvent parmi ses enseignements comment une croyance à l'état initial ou dans sa jeunesse, est prise pour une superstition. De même, une croyance vieillissante est confinée à des rituels magiques dont la signification devient de plus en plus obscure. Ceux-ci de plus en plus incompréhensibles finissent par mourir. Il en était ainsi de la religion chrétienne débutante dans la Rome de Néron, il en fût de même plus tard, de la religion druidique dans la Gaule gallo-romaine devenue chrétienne.


Le point de vue n'est pas seulement historique, il est aussi fondé sur d'autres perspectives : au sein d'un même groupe social étendu ou restreint à de petites collectivités voire à un individu, existent plusieurs " étages " ou couches de croyances sociales, philosophiques, de type religieux ou magique. Celles-ci peuvent parfaitement coexister ensemble, souvent à des moments différents. Une bonne partie de ces croyances sont d'ordinaire irrationnelles et ont longtemps pu être taxées de superstitions.
Ainsi, tel qui se croit parfaitement cartésien se trouble lorsqu'il voit un chat noir, ou a un petit pincement au cœur le vendredi 13 - ou bien court acheter un bulletin de loto... Il s'empresse de retourner le pain qui est à l'envers sur la table ou fait attention de ne pas casser le miroir.

Ailleurs, et dans d'autres milieux, essayez de parler cordes à un marin, ou de parler civet de lapin quand on est en mer... Symbolique profonde, ancienne, respectable peut-être, en tous cas fortement entachée d'irrationnel.
Le problème des superstitions, on s'en apercevra dans la chanson dont il est question ici, touche aussi à l'instruction et à l'information. Au XIX' siècle, en milieu rural, l'information repose sur les intellectuels, gens instruits et autorités locales en premier, sur les ecclésiastiques ensuite et les chanteurs populaires enfin.

Le rôle de ces derniers ne peut être exagéré, mais outre le fait qu'il assure le maintien d'une contre culture par rapport aux modèles officiels, ce qui en révèle le caractère particulier en Basse-Bretagne est le barrage linguistique. C'est une évidence reconnue depuis plus de cent ans maintenant, depuis le Barzaz Breiz et la querelle qu'il a suscitée.
Sans aborder de nouveau cette question, on constate qu'il peut exister une culture para-officielle où le message véhiculé peut être différent du message officiel. Toutes proportions gardées, les autorités religieuses ou laïques ne pouvaient se permettre de laisser diffuser des idées trop hétérodoxes.
Mais revenons à cette chanson sur feuille volante de la fin du XIX, siècle qui met en lumière ces superstitions dans un milieu traditionnel.

Une chanson de 43 quatrains

 

Cette chanson traditionnelle qui parle d'un fait divers dont la date précise dans le texte est le 10 novembre 1740, est localisée aux environs de Rennes. Même si l'on sait qu'il ne faut, à moins d'une enquête précise, apporter une confiance absolue à ce type de datation. Il s'agit d'une chanson in-8 de 4 pages composée de 43 quatrains de 12 pieds, répertoriée au Catalogue Ollivier (au numéro 468). C'est la seule version signalée. Cette feuille commence, entre titre et timbre, par un distique en exergue en français, disant :

' Cette chanson toute très philanthropique,
Est pour le superstitieux et l'empirique. '


Suit le timbre : "var don : Güers ar plac'h libertin '(sur l'air: Complainte de la femme libertine). Le texte finit par la date, en apostille : " juillet 1886 ", puis la marque (propriété de l'auteur) H.Labory et, enfin, en pied de page, la marque d'imprimeur Quimper, Imp. de Kerangal ". Les trois premiers couplets sont introductifs et le dernier conclusif Au point de vue composition, il est important de noter que dans la chanson, deux couplets à type de morale ou d'avertissement " encadrent " le développement sur les superstitions proprement dites. Ainsi le couplet 3 annonce carrément que les fausses croyances dont il sera question sont défendues par les lois civiles autant que religieuses. Aux couplets 39 et 40, on est averti par une sorte de regret, que s'il y avait eu autrefois autant d'écoles qu'aujourd'hui ( en 1886), il y aurait eu beaucoup moins de superstitions. Propos curieux dans la bouche d'un auteur inféodé à l'évêque de Quimper et du Léon, à l'époque où la III République votait les lois dessaisissant l'enseignement de la main des autorités religieuses et des bons pères des congrégations (lois scolaires de 1880-1881)...Quoiqu'il en soit, beaucoup de superstitions citées s'accompagnent de mises en gardes, d'appels adressés au lecteur, ou à l'auditeur, très généralement fondés sur son sens critique et sur un retour à la pureté religieuse.
En principe, chaque couplet traite un à deux sujets consacrés aux superstitions. Il y a quelques couplets de remplissage ou un thème traité sur deux couplets, rarement plus. La tension de la composition est bonne, des couplets de 2 à 32. Les dix couplets suivants sont moins tendus et ont une composition moins stricte. Il y a par exemple plus de sujets étendus à 2 couplets (sans que l'importance du thème semble le justifier) et beaucoup de couplets de remplissage (pas moins de 5, de type moralisateur ou faits de digressions).

Neuf thèmes superstitieux

Avant de parler de la façon dont l'auteur aborde les sujets superstitieux, ceci incite à dresser une sorte de catalogue de ce qui peut être considéré comme superstition, d'après le contexte de la chanson. En allant de ce qui est le plus religieux, au sens catholique du terme, vers ce qui l'est moins. Voici les neuf grands thèmes abordés et les limites du contenu des superstitions :

1 - Croyances relatives à la religion, plus ou moins cautionnées par les autorités (2 couplets).

2 - Comportements chrétiens, mais superstitieux, non admis ni cautionnés (3 couplets).

3 - Anciennes religions (religion romaine ou druidisme) (2 couplets).

4 - Croyances de type diabolique ou opposées au christianisme, sorcellerie (2 couplets).

5 - Croyances traditionnelles, signes et intersignes (8 couplets).

6 - Magie, divination, jeux et cartes, astrologie, objets et vecteurs de sorts (3 couplets).

7 - Lutins et animaux, revenants et personnages surnaturels (6 couplets).
8 - les, sorts, charlatans, chance et malchance, médecines traditionnelles (5 couplets).

9 - Météores et signes naturels. (4 couplets).

Il est important de noter que, suivant le regroupement des thèmes de type superstitieux proposé, les signes et les croyances traditionnelles sont le plus évoqués, suivis par les histoires d'animaux et de revenants.

DÉFINITION D'UNE SUPERSTITION

Superstition vient du latin superstitio qui signifie au sens strict " croyance, religion, superstition, culte, divination, art de prédire ". On constate déjà que le sens, en français, s'est considérablement restreint par rapport au sens latin, beaucoup plus étendu et proche du concept de religion. Mais on peut aller plus loin au moyen de l'étymologie.
Le mot superstars qui signifie mot à mot " se tenir sur ", donne lui-même superstes origine de superstitio. Or superste signifie " qui reste, qui substitue, conservé, sauvé, sain et sauf, qui continue à durer ". Nous voici beaucoup plus près du sens français, dans le sens restrictif qui considère la superstition comme le relief d'une croyance passée. Et par là même plus proche de ce qui est " traditionnel ", dans le sens où maintenant nous l'entendons d'habitude, c'est-à-dire schématiquement, ce qui maintient le souvenir des usages. On constate ainsi qu'entre"tradition et " superstition le raccourci de l'étymologie est saisissant.

L'auteur, H. Labory

Henri ou Hervé, H.Labory est référencé à la fois dans J. Ollivier et L. Raoul. Il serait né le 30.05.1830 à Plougastel-Saint-Germain, en pays bigouden. Il est menuisier (cf. couplet 43). Il décède le 29.11.1892 à Kermorvan en Clohars-Fouesnant. Il s'agit d'un artisan villageois qui ne semble guère avoir été à l'écart de son Sud Finistère natal. En effet, aucune mention n'est faite dans ses chansons, comme on l'observe souvent pour les auteurs, de ses expériences et voyages.

Si l'on regarde le périmètre Châteaulin-Briec-Clohars, près de Bénodet, cela fait un cercle de 25 km environ. Certains indices dialectaux confirment cette origine, en particulier la juxtaposition " aneval/loen " pour animal, localisations nettement dans le Finistère (le mot aneval étant inconnu à l'est de Morlaix). Il en est de même de la mutation initiale du pronom possessif à la première personne de " ma " en " va ", typiquement finistérienne.

Si l'auteur reste peu connu, trois feuilles volantes sont répertoriées par Ollivier et deux cantiques par Raoul.

Le premier texte (011. N'l 52) : 'Kanaouen ar guez avalou, hag ar cidr ' (chanson du pommier et du cidre) est un poème rustique et élégiaque de la même période que la chanson des superstitions. Il a pour timbre 'Potret-Briec ' Il est fait allusion aux druides coupant le gui dans les arbres, c6incidence troublante avec ce que l'on trouve dans la chanson étudiée ici. A noter, la comparaison faite à propos de la fleur de pommier :

Hanval demeuz al lys var mantel alaouret,
A zoug an oll brincet deus goad ar Bourbonnet.

(Semblable au lys sur le manteau doré que portent tous les princes du sang des Bourbons).

Le second texte (Oll.n'339) : ' Chanson ar vesvierez '(chanson de l'ivrognesse) est un texte de 18 quatrains de 8/9 pieds alternés, sans timbre. De propos délibérément moralistes, ces chansons sur l'ivrognerie étaient, sinon une figure imposée, un exercice de style ou de commande auquel les auteurs de feuilles volantes ne répugnaient pas, les milieux religieux comme les autorités laïques s'intéressant à ce thème.
Le troisième texte (Oll.n°925) est le plus curieux : "Penos e cresk an niver deus ar guenan ha penos e vez tennet ar mel heb ho laza '(comment augmente le nombre des abeilles et comment est tiré le miel sans les tuer). C'est une chanson de 11 quatrains et 12 pieds qui a pour timbre Potred Briec En dehors de l'aspect utilitaire, voire rustique, de cette chanson, la marque de signature à la fin est curieuse, elle dit : " traduit des Géorgiques de Virgile par H. Labory, menuisier à Clohars Fouesnant ". Voici donc notre artisan qui devient latiniste à ses heures!
Les cantiques, quant à eux, confirment bien l'inspiration religieuse volontiers revendiquée par l'auteur et son éditeur. Il s'agit de " Kantic en enor d'an Itron Varia Benodet " et de " Kantic en enor d'an Itron Varia an Drennec " (cantiques en l'honneur, respectivement, de N.-D. de Bénodet et de N.-D. du Drennec).

Les Imprimeurs

Il s'agit donc des quimpérois De Kerangal, père et fils, imprimeurs en titre de l'évêché de Quimper (" mouller an Eskopti ", mention qui apparaît sur certaines feuilles). On peut certainement imaginer que ce poste d'imprimeur officiel, en plus de débouchés assurés, devait valoir aux auteurs inféodés une certaine surveillance, voire d'amicales pressions pour qu'ils se conforment aux avis donnés afin de conserver ce fructueux débouché.

Deux sources pour le timbre

L'air de référence de ce texte est " Güers ar plach libertin "et est connu par au moins deux sources :

Les tirages Lédan d'une feuille volante (1852), notée " rue ar Pavé " dont le titre est "Ar plac'h libertin -exempt ha punition eus eur plac'b pebini Yaouank e deus bet ar grueldet da laza he fevar C'hrouadur, condaonet da veza crouguet ha devet er guer a Roazon ' ( La femme libertine -exemple et punition d'une femme qui, jeune, a eu la cruauté de tuer ses quatre enfants, condamnée à être étranglée et brûlée dans la ville de Rennes).
La pièce LXIV des Kanaouennou Pobl. du colonel Bourgeois, dont le titre est "Gwerz eur plac'h gadal pe ar vuez fall (pe dirollet) " (complainte " sur " une femme débauchée, ou la mauvaise vie - ou dissolue)'. Cette complainte lui a été chantée à Châteaulin par Laurent Pennec dit Iann ar Voul.

Le fond de cette chanson traditionnelle suit un parcours moraliste à souhait et finit par une Réflexion ", particularité connue dans les livres de piété comme le " Buez ar Zent " (vie des saints), diffusé du XVIII' siècle au XX, siècle en Basse-Bretagne, mais beaucoup plus rare sur les feuilles volantes. Cette réflexion finit par un avertissement contre la danse et les filles libertines, qui dans le contexte dramatique, vient comme un cheveu sur la soupe.

Serge Nicolas


CHANSON NEVEZ VAR SUJET AR SUPERSTIONNOU

' Cette chanson toute très philanthropique,
Est pour le superstitieux et l'empirique. '

Var don : Güers ar plac'h libertin.

(Traduction :Olier ar Mogn / Corinne Legrand)

1 - C'hoant a meus, Bretonnet, da zont da ziscleria
Eun abus en bon toues deus an danjerussa :
Eo ar supertitionnou zo kals, siouas ! o kredi,
Hag a zo noasus bras d'an dud sempl e peb ty.

2 - Kent avans davantaj, e c'houlon sclerijen
Apollon ha Minerv, Doueed deus a fablen
Unan gondu ma rimou, hag eben all ma furnes
Marteze teuin a benn da scriv' ar virionnes.

3 - Un dra abominabl, güelet e chom bepret
Etoues tud ignorant, kredennou kondaonnet
Gant all lezennou civil ha komzou an Aviel
Spont rak troaou infernal ha traou celestiel.

4 - Güelet rer exemplou ehars an amzer gos,
Deus spontadennou bras errue pad an nos,
Gant tud bars en ho güele, pe autramant o vale
Mar karjen vizen bet didromplet heb dale.

5 - Eur boud raden hebkeii, hejet gant an avel,
A rayo doc'h nijal heb pleon na diouaskel ;
Ho pleo zavo var ho penn, a strakal a ri ho tent,
O kredi peus güelet al Lutin var ho hent.

6 - Kals merc'het, deus an nos, a gred ferm neus güelet,
Pe ho zad, pe ho mam, ho breur pe ho friet,
Goude-ma int decedet, o tont da c'houl pedennou
Tavit, a tavit krenn, gant sort sot konchennou.

7 - Be zo c'hoas, kristennien, supertitionnou foll
O tont d'ho fratica, a reont doc'h kals a goll
Vel mediciner loennet o parea dre gomzou,
Pe heb bez studiet, oc'h implij goal louzou.

8 - Envel deus an Druidet, tud ancien er vro,
En doa eur respet vras evit ar güez dero :
balamour d'an huel-var vize kavet varnezo,
A biscoas eur foeltr-vad n'en deus-en groet dezo.

9 - Me a lez a goste, konchennou ven ha nul,
Kapabl seul da sponta bugaligou kredul ;
Me a fell din 'ta applika an accidanchou fachus
Dan oll gredennou sot..., Alies vent noazus.

10 - Pas hebken al loenner vez victim d'ar fallacr,
Ghemer vit parea traou profan ha traou sacr
Mes bez a zo tud kredul a vez alies tromplet,
Ha groet kals tor dezo, meumes en ho c'hlenvet.

11 - Betec kredi eo güir ar seis deus ar botret
Zo medicin avoalc'h heb beza studiet,
E vez klasket gant fizians da frott' e zorn deuz coste
Un den a zo goall glaon !... Sottonni an dra-ze.

12 - Be z'o hag a gred c'hoas bars et charlatannet,
A bled dre ar foariou kouls hag avocadet ;
E tebitont doc'h ghevier var louzou pernicius,
E fell deo ho güerza vel louzou precius.

13 - An divinourezet ne n'int ket, a dra-zur
Gùelloc'h vit re a vers billet bon-avantur
A re ze zo komperien, pa reont ar meumes comers,
Da drompl' an ignorant neus tout ar meumes pers.

14 - Be zo hag a lar doc'h, deus cartou pa sellont,
Pe vonheur pe malheur po en amzer da zont
Divoual deus magiciannet, divoual c'hoas deuz sorcerien,
Ha demeus an Albert, divouallit mad, lennerien.

15 - Deus ar c'hartou trois-sept, a zo diou-a-trêgon,
E rac'h en eur chanj liou, gadripl, minill, tricon
An troyou se a vez groet gant charlatannet soutil,
Vit trompla a dra zur, c'hoariourien trankil.

16 - Al lapousset vit lod, 32O eur 2in certen,
Al lapoussic skrijer, ar piket var an hent,
Pa e vez klevet hennes, pe e vez güelet houma
Eur maro a zo prest da dremen dre ama !...

17 - C'hoas ouspenn ma kredet a zo divinourien
Vit goapeal ar bobl, etoues ar gristennien,
E fell doc'h al loennet mud vez divinourien ive,
Hag a lavarfe doc'h petra vo ho tive.

18 - Be zo tud hag a gred, a possub vent deud cos,
Penos e klevont trous avechou kreis an nos :
Lod a glev tacha cherchou lod all a glev boulversi,
D'an eil coste d'eben, ar planch var al leurzi.

19 - Lod all c'hoas neus klevet karighel an ankou,
Pe eur c'hloc'hic bihan, pe güelet flam goulou
Dre an dra-ze e ouzont e ma tostic ar maro
Da zigoueout e ker!... Gâr an neb a garo !!

20 - Respontet din-me c'hoas, penos toler klenvet
Var an dud, var ar saout, var moc'h ha var denvet
Ober de tap klenvezou hag avechou ar maro,
Pe da chom langhisset heb kaouet poan garo.

21 - Me gred on kristen mad, catolic, koulz a c'houi
Cetu ase perac n'allon biken kredi
E vez dre eun den mechant e meus tapet ar c'hlenvet
A aflij ac'hanon, heb kaout ounta remet.

22 - Mar peus kollet arc'hant pe eun dra all benac.
E reliklt ho c'hlask prompt, ma na rit ket... Perac ?
C'houi a lak re a fizians ebars en eur santic du
D'en digas doc'h varc'hoas, ma na ra ket deustu.

23 - Ouspen riska da goll ar pes zo dianket,
E tistammantet c'hoas eur pemp pe c'hoec'h güennec
Er ghis-se en eur gredi, a dre ho ignorans foll,
Na vankoc'h ket james deus tu pe du da goll.

24 - Ma e zoc'h penvidic, vo laret eur c'has du
A zigas doc'h arc'hant bevech pa gav an tu
Perac eta e kredit, penos vez eul loennic paour
Gasfe d'ar penvidic bernou arc'hant hag aour.

25 - Pa c'houes an avel foll, ken a gren ad tyer,
Vo laret zo maro eun debout mad a yer ;
Vez sonjet eo an ene a ya da ober tourmant
Ma e voa penvidic, sur ma en nêc'hamant,

26 - An amzer, ma breudeur, ne ket groet gant an dud,
Nag e beo, na marc, evel ma ma ar vrud.
Dre natur ta an amzer alies chanchamanchou
Yen, tom, arne ha glao, avechou tourmanchou.

27 - Na gredit ket james giielet sinon en er,
Evel güelet tan ruz fusilli, sabrennier,
Sin demeus a gambajou, a ne zigouefen james,
Ractal m'ho peus güelet... Mar kirit tol eves !

28 - AI loar enn' em grouga! Be vez guelet e Breis,
Eclips loar deus an nos, eclips eol deus an deis
An eol, al loar, an douar en n'em eclips a dra-zur,
Mes na venassont ket buez eur c'hrouadur.

29 - Eur stereden lostec, pe eur blaves biseost
A ra eun effet bras var loen net ha var eost
Penos eta e kredit, vez eun de, eur stereden,
Kapabl da droubla tout ar pes sepant d'an den.

30 - Sottonni eo kredi penos eur blanetten
Zo laket gant Doue da c'heulia da beb den
Pe c'houi vo kavet beuzet, pe dre rancont decedet,
Vo laret : Er ghis-se renkche be digouezet.

31 - Vit mont dirac chass claon, peus alc'houes Sant-Ugen
Mar peus eur menn Kroadry, grimp hardi er vezen;
Ha ma peus eur voalen dir, e arretit krenn ar goad
Da c'houm e Sant-Cadou, e klaskit louzou mad.

32 - Ma fell doc'h kaout arc'hant, p'autramant temzoriou,
Epad an aviel deus a zul ar bleuniou.
E red doc'h monet d'ho c'hlask, savet int var ann douar.
Mes pad an amzer-ze, divoual da gaout savar.

33 - O tud ar sotta tout ! dishenor hor bro ghes !
C'houi a zonch doc'h eta, Doue en he furnes
En neffe choaset expres eun heurves epad ar bloa
Vit roï d'an temsoriou bez distac deus peb tra.

34 - Me n'allon ket tevel ar pes a meus klevet
Espres vit ober mes d'ar c'hredul. Bretonnet
Penos d'an nos ar Pelgon hag epad an oferen,
An eil deus eghile, a barlant daou ejen.

35 - O c'houi a zishenor hor bro ker Breis-Izel
C'houi a barlant sottoc'h vit rafle eur bughel,
Oc'h sot avoalc'h da gredi penos loenet crouet mud,
Neus eun heur da barlant evel ma ra an dud

36 - Mar karfen lara tout ar sottoniou euzuz
A gonter dre ar vro gant tud supertitius,
Ne ket daou-hughen couplet a achufe ma chanson
Kement all a rafen c'hoas heb beza direson.

37 - Na c'boulon ker excus digant ar mechantet
A glask ato an tu da dappa poltronnet
Zo sot awoalc'h da gredi ho zroiou, ho discourzou,
Ha da zilas ho yalc'h da bea anezo.

38 - Nomp ket vit chom divlam, vit domp bez kristenien,
Ha Doue hor punis dre ma zomp pec'herien.
Ne ket sur ar sorcerien eo a ta domp langhissa
Doue, en he justis, a zeu d'or punissa.

39 - Profittit-ta brema, vit distruj n' ignorans
Bars en Breis zo savet scolliou en abondans,
Kasset di ho pugale, a certen mad eun deves,
Dre ho deskadurez, no muyoc'h a furnes.

40 - Ma vize bet scolliou ehars an amzer gos,
Vize ket en hon toues kement kredennou fos
Na vize ket parlantet demeus re e teu en dro,
Da ober visitou goude ma vent maro.

41 - Na vize ket spontet tud e bars en ho zi
D'an heur a anter-nos oc'h ober raveurzi,
Vit ober doc'h decampi, hag evit allout essoc'h
Kemer ar pes ho peus a goapât ac'hanoc'h.

42 - Divouallit mad eta demeus ar sorcerien :
N'em assurit bepret en nos e bars an hent,
Da gemer c'hoas eul Lutin e lec'h eur boud raden,
Ha peb supertition tennit pis deus ho penn.

43 - An hini neus savet ar zon zo menuser,
Ne tam supertitius, na ket nebeut sorcer:
A zo hanvet Labory, ganet e borc'h Plogastel,
E chom e Clohars-Fouësnant, kichen eur c'hoos Castel.

1 - J'ai envie, Bretons, de venir dénoncer
Un abus parmi nous des plus dangereux:
Ce sont les superstitions que beaucoup, hélas ! croient,
Et qui sont très nocives pour les simples gens de chaque foyer.

2 - Avant d'aller plus loin, je demande la lumière
D'Apollon et de Minerve, Dieux de fable:
L'un conduit mes rimes, et l'autre ma sagesse;
J'arriverai peut-être à écrire la vérité.

3 - Une chose abominable, est de voir que restent toujours
Parmi les gens ignorants, des croyances condamnées
Par les lois civiles et les paroles de l'évangile :
L'effroi devant des choses infernales et des choses célestes.

4 - On voit des exemples dans l'ancien temps,
De grandes frayeurs qui arrivaient pendant la nuit,
A des gens dans leur lit, ou bien debout :
S'ils l'avaient voulu, ils auraient été détrompés très vite.

5 - Une seule touffe de fougère, secouée par le vent,
Vous fera voler sans plumes ni ailes ;
Vos cheveux se dresseront sur votre tête, et vos dents claqueront
En croyant avoir vu le Lutin sur votre route.

6 - Beaucoup de femmes, la nuit, croient fermement avoir vu,
Soit leur père, soit leur mère, leur frère ou leur mari,
Après leur décès, venir demander des prières !
Taisez-vous, et taisez-vous pour de bon, avec cette sorte de sot racontar.

7 - Il y a aussi, chrétiens, des superstitions folles
Qui si on les pratique, vous causent beaucoup de pertes :
Comme des vétérinaires qui guérissent par des paroles,
Ou sans avoir étudié, en utilisant de mauvais médicaments.

8 - Comme les Druides, gens anciens du pays,
Qui avaient beaucoup de respect pour les chênes :
A cause du gui qu'on pouvait y trouver,
Mais qui n'a jamais été foutu de leur faire le moindre bien.

9 - Moi je laisse de côté, les histoires vaines et nulles,
Seulement capables d'effrayer de petits enfants crédules ;
Je veux donc appliquer les accidents fâcheux
A toutes les croyances sottes... Elles sont souvent nuisibles.

10 - Il n'y a pas que les animaux à être victimes du méchant,
Qui prend pour guérir des choses profanes et des choses sacrées,
Mais il y a des gens crédules qui sont souvent trompés,
Et à qui on fait beaucoup de tort, m e dans leur maladie.

11 - Jusqu'à croire qu'il est vrai que sept hommes
Valent un médecin sans avoir étudié.
On cherche avec confiance à frotter sa main site le flanc
D'un homme qui est très malade !.. Sottise que cela.

12 - Il y en qui croient encore aux charlatans,
Qui plaident dans les foires comme des avocats
Ils vous débitent des mensonges sur les médicaments pernicieux,
Qu'ils veulent vous vendre comme des médicaments précieux.

13 - Les devineresses ne valent pas mieux, c'est sûr,
Que ceux qui vendent des billets de bonne aventure
Ceux-la sont des compères puisqu'ils font le même commerce,
Pour tromper l'ignorant ils ont tous la même habileté.

14 - Il y en a qui vous disent, à partir de cartes qu'ils regardent,
Si c'est du bonheur ou du malheur que vous aurez ns le tue
Attention aux magiciens, attention encore aux sorciers,
Et de l'Albert, méfiez-vous bien, lecteurs.

15 - Des cartes trois-sept, qui sont trente deux,
Va ferez en changeant de couleur, le quadruple, manille, le tricon,
Ces tours sont faits par de subtils charlatans,
Pour tromper sûrement, de paisibles joueurs.

16 - Les oiseaux pour certains, ?
La chouette, les pies sur la route,
Quand on entend celle-ci, ou que l'on voit celles-là,
Une mort est prête à passer par-là.

17 - De plus si vous croyez qu'il y a des devins
Pour se moquer du peuple, parmi les chrétiens,
Vous voulez que les animaux muets soient des devins aussi,
Et qu'ils vous disent quelle sera votre fin.

18 - Il y des gens qui croient, même s'ils sont vieux,
Qu'ils entendent du bruit parfois au milieu de la nuit:
Certains entendent clouer des cercueils, d'autres entendent remuer,
De tous côtés, les planches sur le sol.

19 - D'autres encore ont entendu la brouette de l'Ankou,
Ou une petite cloche, ou vu la flamme d'une bougie;
Par cela ils savent que la Mort est prête
A arriver à la maison.. Gare à qui croira !!

20 - Dites-moi encore, comment jeter la maladie
Sur les gens, les vaches, les cochons et les moutons
Leur faire attraper des maladies et parfois la mort,
Ou rester à se languir sans avoir grand mal.

21 - je crois que je suis un bon chrétien, catholique, autant que vous,
Voilà pourquoi je ne pourrai jamais croire
Que c'est à cause d'un homme méchant que j'ai attrapé la maladie
Qui m'afflige sans avoir pour elle de remède.

22 - Si vous avez perdu de l'argent ou quelque chose d'autre,
Vous pouvez le rechercher rapidement, si vous ne le faites pas... Pourquoi ?
Vous mettez trop de confiance dans le petit saint noir
Pour qu'il vous le rapporte demain, s'il ne le fait pas tout de suite.

23 - En plus de risquer de perdre ce qui est égaré,
Vous dépensez encore cinq ou six sous ;
Comme cela en croyant, par votre folle ignorance,
Vous ne manquerez jamais d'une façon ou d'une autre de perdre.

24 - Si vous êtes riche, on dira qu'un chat noir
Vous apporte de l'argent chaque fois qu'il le peut;
Pourquoi donc croyez-vous, qu'un pauvre petit animal
Amènerait au riche des tas d'argent et d'or.

25 - Quand le vent déchaîné souffle tant qu'il fait trembler les maisons,
On dit que c'est la mort d'un bon mangeur de poules;
0n pense que c'est son âme qui vient faire une tourmente
S'il était riche, il est sûrement en peine.

26 - Le temps, mes frères, n'est pas fait par les gens,
Ni vivants, ni morts, comme le dit la rumeur.
Par nature le temps change souvent;
Froid, chaud, orage et pluie, parfois des tourmentes.

27 - Ne croyez jamais voir des signes dans l'air,
Comme voir le feu de fusils, des sabres,
Signes de combats, qui n'arriveront jamais,
Dès que vous en voyez... S'il vous plait faites attention

28 - La lune qui se pend !.. On voit en Bretagne,
Des éclipses de lune la nuit, des éclipses de soleil le jour
Le soleil la lune, la terre s'éclipsent certainement,
Mais ils ne menacent pas la vie d'un enfant.

29 - Une étoile filante, ou une année bissextile
Ont un grand effet sur tes animaux et sur la récolte;
Comment pouvez-vous croire, qu'un jour, une étoile,
Soit capable de troubler tout ce qui dépend de l'homme.

30 - C'est sottise que de croire qu'une planète
Est mise par Dieu pour suivre chaque homme
Que vous soyez trouvé noyé, ou par hasard décédé,
On dira : Ce devait être ainsi.

31 - Pour aller devant des chiens enragés, vous avez la croix de Saint-Uguen
Si vous avez une pierre de Coadry, vous grimpez facilement dans l'arbre ;
Et si vous avez un anneau d'acier, vous arrêtez d'un coup le sang;
Dans le coin de Saint-Cadou, vous cherchez de bonnes herbes.

32 - Si vous voulez avoir de l'argent ou des trésors,
Pendant l'évangile du dimanche des rameaux.
Il vous faut aller les chercher, ils poussent sur la terre.
Mais pendant ce temps, attention au bruit.

33 - Oh gens des plus sots ! déshonneur de notre pauvre pays
Vous pensez donc que Dieu dans sa sagesse
Aurait choisit exprès une heure pendant l'année
Pour faire en sorte que les trésors soient détachés de toute chose.

34 - Moi je ne peux taire ce que j'ai entendu
Exprès pour faire honte au crédule. Bretons:
Comment la nuit de Noël et pendant la messe,
L'un à l'autre, se parlent les deux bœufs.

35 - Oh vous déshonorez votre beau pays de Basse-Bretagne!
Vous qui dîtes plus de sottises que ne le ferait un enfant.
Vous êtes assez sot pour croire que des animaux créés muets,
Ont une heure pour parler comme le font les gens.

36 - Si je voulais vous dire toutes les sottises épouvantables
Que racontent dans le pays des gens superstitieux.
Ce n'est pas quarante couplets qui finiraient ma chanson
J'en ferais encore autant, sans être déraisonnable.

37 - Je ne demande pas d'excuses aux méchants
Qui cherchent toujours la façon d'attraper les poltrons
Qui sont assez bêtes pour croire à leur tour, à leurs discours,
Et pour ouvrir leur bourse pour les payer.

38 - Nous ne pouvons rester sans reproches, même si nous sommes chrétiens,
Et Dieu nous punit parce que nous sommes des pécheurs.
Ce ne sont sûrement pas les sorciers qui nous font languir:
C'est Dieu qui, dans sa justice, vient nous punir.

39 - Profitez donc maintenant, pour détruire l'ignorance:
En Bretagne il y a des écoles en abondance,
Envoyez-y vos enfants, et certainement un jour,
Par leur éducation, ils auront plus de sagesse.

40 - S'il y avait eu des écoles dans l'ancien temps,
Il n'y aurait pas parmi nous autant de fausses croyances:
On ne parlerait pas de ceux qui reviennent,
Faire des visites après leur mort.

41 - Les gens ne seraient pas effrayés dans leur maison
A l'heure de minuit quand le chambardement
Vous fait décamper pour pouvoir vous prendre plus facilement
Ce que vous avez et se moquer de vous.

42 - Méfiez-vous donc des sorciers
Assurez-vous toujours la nuit sur la route,
De ne pas prendre encore une touffe de fougère pour un lutin,
Et toute superstition retirez bien de votre tête.

43- -Celui qui a composé cet air est un menuisier,
Qui n'est pas du tout superstitieux, ni non plus sorcier.
Il se nomme Labory, né au bourg de Plogastel,
Il habite à Clohars-Fouesnant, à côté d'un vieux château.

Revenons sur ce que la chanson nous apprend directement au sujet des thèmes superstitieux. La lecture montre que les thèmes sont " saupoudrés " au fil des couplets, de sorte qu'il est plus logique de les regrouper de manière thématique que de façon linéaire en suivant les couplets.

Croyances relatives à la religion chrétienne, plus ou moins cautionnées par les autorités religieuses
Sujet finalement peu évoqué : on parle au couplet 31 (c - 31), avec une note de suspicion, des signes de piété populaire que sont les croix de Saint-Uguen pour se protéger des chiens enragés, des " pierres de Coadry " (évoquées sur un vers seulement) Il est dit que l'on peut grimper avec elles aux arbres " hardiment ". Il est question aussi de la recherche de l'herbe pour la fièvre de Saint-Cadou, de l'anneau d'acier qui arrête l'écoulement du sang (croyance connue hors de Bretagne, parfois sous la forme d'une clé suspendue). Le c - 38 dénonce plus nettement les tendances manichéistes tendant à donner autant de pouvoir ou presque au Diable et à ses suppôts qu'à Dieu.

Comportements chrétiens, mais superstitieux, non admis ni cautionnés
Il s'agit de comportements à la limite de la religion dans sa forme cautionnée par l'Église. Souvent, un rite est l'occasion du développement d'une superstition ou d'une croyance para-religieuse en général mal supportée par le clergé. Deux exemples sont cités, vivement dénoncés. Aux c - 22 et 23, est évoquée la croyance selon laquelle si de l'argent est perdu, en " vouant " cinq ou six sous (le texte dit " testamantan " c'est-à-dire " léguer " ) au " petit saint noir " (ar santic du), on récupérera l'argent. Le " santig du " est particulièrement honoré à Quimper et sa région. Il a fait l'objet d'un opuscule (1 99 1) de Mgr Visant Favé, ancien évêque auxiliaire de Quimper et Léon dans lequel est demandée la canonisation de saint Jean Discalcéat de Saint Vougay. Il n'est pas fait allusion à cette croyance, ni d'ailleurs dans le " Cantic Zant lann Diarc'henn " (cantique de saint jean aux pieds nus). Il peut s'agir d'une croyance traditionnelle connue localement. Au c - 32, cas connu et curieux à citer pour l'anecdote, la croyance selon laquelle à Pâques, pendant la lecture de l'Évangile, les trésors sortent tout seuls de terre. L'auteur dit que ceux qui croient de telles choses sont le déshonneur du pays.

Anciennes religions (religion romaine, druidisme)

Couplet curieux pour la religion romaine et intéressant pour la religion druidique. Le c - 2, dans une clause de style fréquemment vue sur les feuilles volantes, demande une protection divine. Bizarrement, bien que l'auteur se présente comme un bon chrétien, plutôt qu'à Dieu, la Vierge ou l'Esprit Saint, il demande protection à Apollon et Minerve, " dieux de la fable conduisant l'un sa rime et l'autre sa sagesse (ou son inspiration).
Le couplet druidique est au c - 8, et il est seul consacré à ce thème. Il nous dresse un tableau que l'on croirait sorti des livres d'histoire de l'école communale de la Ill' République. Les druides, (an Druidet), qualifiés de " tud ancien et vro " (gens anciens dans le pays), adoraient le chêne et le gui dont les vertus médicinales, d'après notre auteur, ne leur ont jamais fait aucun bien. C'est la reprise du même thème que dans l'autre feuille de H. Labory sur le pommier, qui parle aussi de druides coupant le gui dans les arbres. Néanmoins, l'origine, non pas littéraire ni traditionnelle, mais certainement scolaire, ne fait guère de doute, et il n'est nulle part ailleurs fait état de survivances de traditions de ce type.

Croyances de type diabolique ou opposées au christianisme, sorcellerie
Au c - 14 d'abord, il y a trois thèmes où on assimile la divination par les cartes aux magiciens et sorciers, et on prévient le lecteur de se méfier de l'Albert. Il s'agit là de l'Albertus Magnus ou Grand Albert, différent du livre de Cornélius Agrippa, connu dans les campagnes entre autres sous le nom d'Agrippa, qui n'est pas évoqué ici. Contrairement à l'idéologie religieuse habituelle qui assimile tous les jeux de cartes quels qu'ils soient aux manigances diaboliques, l'auteur ici les distingue très bien, et entre ce couplet et le couplet 14 et le suivant, il cite les jeux de cartes : le " trois sept " qu'il traduit par " diou ha tregont "(trente deux), le quadruple, la manille et le tricon ". S'en servant aussi pour la rime, il distingue les tours de cartes des charlatans subtils (" charlatannet soutil ") qu'il oppose au jeu des joueurs tranquilles (" c'hoariourien trankil ") qui eux, ne sont pas vitupérés. Les sorciers sont évoqués encore une fois où il est dit de s'en méfier, tout en se gardant cependant de leur attribuer des pouvoirs excessifs qui ne sont pas si grands que l'on croit, et sont en général usurpés du fait de la crédulité des gens (c - 38).


Croyances traditionnelles : signes et intersignes

Sujet plus abondamment traité que les autres, puisque huit couplets en parlent, avec une grande variété de croyances pour la plupart encore connues actuellement. Elles ne sont pas vitupérées, mais sont soit tournées en ridicule, soit font l'objet d'appels à la raison et à la religion.

Il est néanmoins possible de dire, au vu de la fréquence et du nombre des exemples cités, que ces croyances traditionnelles étaient, et sont donc bien présentes dans le milieu concerné. Dans cette chanson sont donc évoqués une grande variété de signes et croyances traditionnelles, ainsi que le personnage central de l'imaginaire mortuaire en Bretagne, l'Ankou " Tad an anken ", le père de l'angoisse, comme l'appelait La Villemarqué. Nombre de ces signes sont aussi évoqués par Anatole Le Braz.

Au c - 16, le signe des oiseaux, en particulier les pies sur la route, signe de mort. Le signe des oiseaux proches ou sur la maison, qui crient ou qui piquent les vitres du bec, est bien connu actuellement.

Au c - 18, les bruits nocturnes de différentes sortes, bruits de planches, de coups de marteau, de remue-ménage sont " classiques " également.

Au c - 19, sont cités, de façon assez brève, la brouette de l'Ankou (" karighel an ankou "), les bruits de clochettes et la vision de chandelles ou de cierges allumés. L'auteur met le lecteur en garde : " gâr an neb a garo ". Ce qui signifie " gare à qui croira " (cela).
Au c - 25, sont évoquées des curieuses croyances relatives à la mort. Il s'agit de relations entre la mort d'un individu précis et le temps atmosphérique. Ces croyances reflètent une tendance profonde de l'esprit humain à chercher une relation entre le microcosme (réduit à un individu) et le macrocosme (étendu à l'univers qui nous entoure) dont la donnée fondamentalement variable, au-delà de l'immuable alternance jour-nuit, est donnée par les cycles de la lune et des marées, et le temps que l'on voit tous les jours à sa fenêtre. Cette notion est illustrée d'exemples dans la Légende de la Mort; il en existe un exemple frappant, connu actuellement : la vie qui va et vient avec la mer (cf La Légende de la Mort, § 2). C'est en effet une croyance répandue, sur les côtes en particulier, que la vie monte avec le flux et que la mort survient volontiers à basse mer.

Dans la chanson cependant, il n'est pas question de mer. Il est question dans la chanson du temps qui est " modifié " par la mort de quelqu'un de riche, dont l'esprit est " gêné ", ce qui laisse supposer qu'il n'avait pas la conscience tout à fait tranquille en mourant. Cette croyance est encore connue sinon répandue, et les gens relient en général le mauvais temps à la mort de quelqu'un de méchant. Cette considération s'étale sur deux couplets, le deuxième (c - 26) étant une antithèse : dans un propos délibérément rationalisant, l'auteur déclare que " le temps n'est pas fait par les gens " (an amzer, ma breudeur, ne ket groet gant an dud).

Apparentés aux signes d'animaux, le c - 17 parle des animaux devins, sans tellement s'étendre sur ce qu'il veut dire. Anatole Le Braz cite pourtant divers exemples d'animaux " médiums " dans son chapitre sur les intersignes, de la capacité de deviner ou même d'annoncer les destins à haute voix. L'exemple le plus frappant qu'il cite est le récit de " l'intersigne des bœufs". Au c - 41, sont évoqués les troubles et bouleversements observés dans les maisons, provoqués ou non par les revenants, origine que l'auteur récuse à priori, sans pour autant rationaliser ni donner d'explication de remplacement.

Magie, divination, jeux et cartes, astrologie, objets et vecteurs de sorts
La question des cartes et de leur caractère diabolique dans le cas de la divination a été évoquée à propos des croyances diaboliques, c - 4. Dans les couplets 14 et 15, où les questions des cartes et de l' Albert sont mêlées, il est en effet question de la divination par les cartes, puis des tours de cartes, et enfin des jeux pratiqués par les honnêtes joueurs qui ne s'occupent pas de divination.
L'astrologie est évoquée brièvement, en un couplet au c - 30, disant qu'il est absurde de croire qu'une seule " planète " soit instituée par Dieu pour suivre chaque individu. Cette croyance est pourtant bien répandue au point que l'on sait que du point de vue linguistique, le terme planète en breton désigne la planète mais souvent le destin (planedenn). Il y a ici dénonciation formelle du fatalisme classique, mot lui-même classique puisqu'il vient du latin fatum: destin.

Lutins et animaux, revenants et personnages surnaturels
Thème assez étendu également avec six couplets qui en parlent.
Au c - 5, comme précédemment, l'approche est délibérément rationaliste : ce que l'on prend pour un lutin est un bouquet de fougères remuées par le vent. Parents décédés, frères, époux, censés revenir pour demander des prières. Il s'agit là encore de croyances traditionnelles, fortement christianisées.
Plus malveillant : les croyances sur les revenants sont attribuées de préférence aux femmes. Le fait d'employer en français l'expression " contes de bonne femme " implique d'office un doute sur leur valeur.
On a déjà vu au c - 17 les animaux devins ; au c - 34 est évoquée une croyance traditionnelle également bien répandue: les animaux qui parlent la nuit de Noël, ce qui est désavoué formellement dans le couplet:


" Oc'h sot avoalc'h da gredi penos loennet crouet mud
Neus eun heur da barlant evel ma ta an dud..."

Vous êtes assez fous pour croire que des bêtes créées muettes
Ont une heure pour parler comme font les gens...

Le c - 24 évoque, à propos d'animaux, une croyance répandue non seulement en Bretagne, mais dans la France entière, celle du chat noir porte-bonheur. Je ne citerai pas le dicton traditionnel breton dans sa crudité native, mais tout le monde connaît les relations' supposées des animaux noirs avec les puissances d'en-bas, et de leur monnaie d'échange, l'or pur.


Le c - 40, qui approche de la conclusion, parle encore de revenants, dans une approche rationaliste et didactique, et dit carrément que s'il y avait eu des écoles autrefois, il y aurait eu moins de fausses croyances de nos jours. Le c 42 revient brièvement sur les bouquets de fougères pris pour des lutins, nous disant d'ôter les superstitions de nos têtes.

Maladies, sorts, charlatans, chance et malchance, médecines traditionnelles
Au c - 11, est exposée la croyance selon laquelle sept hommes ensemble valent un médecin, sans étude d'aucune sorte, et arrivent à guérir un malade en lui " frottant le côté ". Même si l'auteur n'en parle pas, il est impossible de ne pas songer aux rebouteux et autres médecins et thaumaturges traditionnels, qui avaient autrefois des spécialisations bien plus étendues qu'on ne l'imaginerait aujourd'hui. Il y avait ainsi, entre autres, le rebouteux (an dresser), bien distinct de celui qui " tirait " (an tenner) un mal quelconque : ainsi le zona, les crises de goutte, étaient " tirés " par ce spécialiste.
Au c - 12, sont évoqués les charlatans de foire et autres qui vendent leurs remèdes miracles avec un bagout proche de celui des avocats.
Au c - 20, sont évoqués de façon plus précise les sorts, puisque l'auteur parle de " jeter " la maladie sur gens ou animaux, maladie qui garantit le dépérissement ou même la mort. Le couplet suivant voit l'auteur protester de la rigueur de sa doctrine catholique et de dire que si l'on est malade, ce n'est pas par la faute de quelqu'un de méchant, mais qu'il doit bien exister un remède quelconque. Propos délibérément rationalistes, sans même parler de volonté divine. Les charlatans de foire sont évoqués un peu plus loin, au c - 37, où l'on met l'accent sur leurs discours et leurs tours faits pour embobeliner les gens et les amener à délier leur bourse.

Météores et signes naturels
Pourtant, aux origines mêmes du christianisme avec la fameuse étoile indiquant aux rois mages leur chemin, les croyances traditionnelles liées aux étoiles et aux signes atmosphériques et astraux se trouvent ici particulièrement décriées. Il n'est donc pas question dans ce chapitre d'astrologie mais de croyances traditionnelles, de type superstitieux, relatives aux astres et phénomènes météoriques. Ces constatations sont groupées aux trois couplets 27, 28, 29. Elles ne sont pas placées n'importe où : elles suivent en effet les signes atmosphériques participant aux " intersignes " traditionnels, et précèdent le couplet 30 sur l'astrologie.

Le c - 27 parle d'abord de " signes aériens" classiques depuis l'antiquité romaine et le moyen âge : feux célestes, fusils, sabres, combats célestes. Phénomènes qui auraient pu parfois recevoir une explication plus naturelle : certaines personnes ont pu parler de tels signes juste avant 1914, ou même 1939, qui auraient pu être attribués à des aurores boréales, rares sous nos latitudes mais pas impossibles.
Le c - 28 parle de la très ancienne croyance sur la valeur augurale des comètes (stereden lostec) ou des années bissextiles (blaves biseost) et sur leur caractère maléfique sur les bêtes et les gens. Le risque est minoré, relativisé par l'auteur rappelant à la raison : une étoile, ou une journée de plus, ne peuvent menacer la santé de quiconque, que ce soit enfants ou animaux.

En conclusion, c'est maintenant le moment de regrouper l'ensemble des constatations faites et de voir ce que la chanson nous apprend sur les superstitions et de déceler le témoignage indirect sur la vie et la présence des croyances traditionnelles de la Basse-Bretagne du XIX' siècle.
De la structure générale du texte, il est facile de constater que les avertissements, laïcs et religieux, encadrent le texte par leur présence au début et à la fin. L'auteur proteste souvent de son bon catholicisme et incite les lecteurs au même effort.


Le corps du texte est fait de constatations saupoudrées au fil des couplets ; il a été indiqué lesquelles se rapportent aux superstitions connues dans le continent européen, et celles qui sont plus liées au milieu traditionnel en Bretagne. On a pu remarquer que les moyens de lutte les plus utilisés sont la méfiance, la rationalisation, le retour à la morale chrétienne. Les réactions les plus fréquentes sont celles de rationalisation. L'auteur rapporte les phénomènes observés à des explications naturelles autant que possible. La mise en doute, la dénégation plus ou moins brutale sont utilisées aussi.


Pour tous les comportements touchant de façon plus précise à la religion et les affaires de sorcellerie et de divination, le terrain est plus solide, aussi le recours à la morale chrétienne est net et pressant, ainsi que le bon sens, ou les déclarations d'incrédulité. Il est à noter que l'auteur ne parle pas d'autres religions que la religion catholique, et que l'allusion au druidisme est de type littéraire. Par ailleurs, on observe aussi que les croyances religieuses traditionnelles propres à la Basse-Bretagne, contrairement aux autres feuilles volantes en particulier thaumaturgiques et hagiographiques, parfois outrageusement publicitaires, sont ici, dans cette feuille, traitées avec la même rigueur que les entorses à la doctrine proprement dite.
Remarquons enfin que les différences de traitement apportées aux différents types de croyances sont affaires de nuances : il n'y en a pas qui soient plus précisément craintes ou vitupérées, il y a des appels à la raison, des dénégations un peu plus fortes que les autres, le cas échéant, guère plus. Sans conclure de façon formelle que l'auteur a ici plus de faiblesse pour les croyances superstitieuses de type traditionnel, non religieux, force est de constater qu'il reste plutôt circonspect à leur égard. On notera par exemple que c'est justement pour elles que l'auteur ne conclut pas, ne se prononce pas, et ceci est signalé pour trois couplets. Dans les autres cas où il se prononce, il s'agit plus d'appels au bon sens ou à la raison que de dénégations formelles. De là à affirmer qu'il était, à ce propos, moins assuré dans son incrédulité, il y un pas peut-être excessif à franchir, mais cela mériterait d'être signalé.

Serge Nicolas

Avec mes remerciements à Thierry Rouaud ainsi qu'à Bernard Lasbleiz qui a bien voulu relire et annoter cet article.

Bibliographie
Dastum : fonds de feuilles volantes
J. Ollivier : Catalogue Bibliographique de la Chanson Bretonne sur feuille volante. Ed. Le Goaziou, Quimper, 1942
A. Bourgeois: Kanaouennoù Pobl. La Baule, 1956
V. Favé : Santig Du. Paroisse de Saint- Vougay, 1991
J. Picoche : Dictionnaire étymologique du Français. Usuels du Robert, Paris, 1985
L. Raoul: Geriadur ar Skrivagnerien. AI Liamm, 1992
Sommer: Lexique Latin - Français (revu et augmenté parE. Châtelain). Hachette, Paris, s. d.


Sites webs relatifs

Quelques sites consacrés aux superstitions

Superstitions liées à la fête de Noel : http://perso.club-internet.fr/mcl/superstitions.html

Autre site sur les superstitions liées à la fête de Noel : http://www.alianwebserver.com/societe/noel/superstitions.htm

Lexique de superstitions : http://www.alyon.org/generale/histoire/mythologie/superstitions/

Superstitions liées à la fête d'Halloween : http://www.jackolanterns.net/halloweensuperstitions.htm

Tour du monde des superstitions : http://amazone.free.fr/Superstitions/Superstitions.htm

Ouvrage numérisé de la BNF : La naissance, le mariage et le décès : moeurs et coutumes, usages anciens, croyances et superstitions dans le Sud-Ouest de la France / par P.Cuzacq:

http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?O=0075267&T=0

 

 Texte de la chanson

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