CHANSONS EN BRETON SUR FEUILLES VOLANTES

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Paris au travers des chansons en breton sur feuilles volantes
: pouvoir, violence et drame de l'émigration.

Thierry Rouaud, mise en ligne le 04/05/06


Parmi les centaines et les centaines et les centaines de chansons en breton sur feuilles volantes diffusées sur deux siècles, certaines sont consacrées à Paris et à la vie parisienne. Dans le cadre de ce dossier, il est intéressant de se pencher sur les thèmes abordés dans la mesure où ils sont représentatifs d'une certaine vision de la capitale depuis la Basse-Bretagne. On constate qu'il existe trois grandes thématiques représentées par les luttes pour le pouvoir, les évènements dramatiques et la mise en garde adressées aux femmes qui veulent émigrer vers la capitale.

Le pouvoir.
Plusieurs évènements politiques majeurs ont été relatés dans les chansons sur feuilles volantes dès le premier tiers du 19ème siècle. Tout est fait pour que le lecteur ou l'auditeur de l'époque ressente une certaine inquiétude face à des faits éloignés mais dont les conséquences sont imprévisibles. Le souvenir des dérives de la Révolution n'est pas si loin dans les mémoires. On trouve ainsi trace des "Trois glorieuses" avec : "Recit ar revolution derrubl c'hoarvezet e Paris an 26, 27, 28 a vis gouere 1830" (Récit de la révolution terrible arrivée à Paris le 26, 27, 28 juillet 1830), composée par Alexandre Lédan, de Morlaix. L'attentat manqué, perpétré contre Louis-Philippe, à l'aide d'une machine infernale est relaté dans Avec "Detaill demeus an torfet euzus coumettet e Paris an 28 eus a vis gouere 1835" (Détail du forfait épouvantable commis à Paris le 18 juin 1835). On note aussi la narration de la Révolution de 1848 dans "Recit eus an darvoudou horrupl c'hoarvezet en Paris an 23, 24 ha 25 demeus a viz even" (Récit des évènements horribles arrivés à Paris le 23, 24 et 25 avril 1848). Le souci d'informer le milieu bretonnant est évident et constitue une des fonctions de base des chansons mais il ne faut pas toujours compter sur des récits impartiaux. Ceci est notable pour la guerre de 1870.

Yann ar Minous s'apitoie sur les malheurs des parisiens affamés et assiégés dans "Explication deus a viserio Paris enn pad e sieg" (Explication des misères de Paris pendant son siège) :

Quentan tra dezi a o manquet ; Ma breudeur quer ez eo ar gaz
La première chose qui leur a manqué; Mes chers frères, c'est le gaz.
Nemert tregont gram a guiq quezec; Na gomzan mui dues a vara
Seulement trente grammes de viande de cheval; Je ne parle plus du pain.

Mais d'autres auteurs font des descriptions sans appel de la Commune de Paris, tel que cet anonyme dans "Ar pez a zo c'hoarveet e Paris epad ma zo bet ar Republikaned-ru mistri er guer-ze" (Ce qui est arrivé à Paris pendant que les républicains rouges étaient maîtres de cette ville.):

Kenseurted Satan hanvet Republikaned ru
Ho doa lakaet an diroll e Paris a beb tu
Ne oant nemed guir vleizi, rag ar Brussianed
A zo bed ho c'hichenn vel pa larfemp denved
Les suppôts de Satan nommés les républicains rouges
Ont semé le désordre partout dans Paris
Ils sont de véritables loups, car les Prussiens
Ont été, à côté d'eux, comme qui dirait des moutons

Ou Jean-Marie en Nent dans "Fallagries ar Gommun Ru" (La malignité de la Commune Rouge)
Redeg e ra ar goad d'an traou gant er ruiou
Goloet e Paris d'eus a gorfo maro !
Le sang coule au bas des rues
Paris est jonché de cadavres

An ilisou santel zo pillet ha laeret
Ha colonen Vendôme gantez zo discaret
Les saintes églises sont pillées et volées
Et ils ont abattu la Colonne Vendôme

La violence.
Les crimes de sang et les catastrophes ont toujours été des thèmes favoris pour les compositeurs de chansons sur feuilles volantes. L'actualité locale les pourvoyait régulièrement en faits divers tragiques et sanglants mais l'attrait de l'exotisme en a poussé plusieurs à relater de beaux drames parisiens. Ainsi on trouve par exemple" Recit composet a voar eun taol vaillantis erruet tost da Baris" (Récit composé sur un coup de vaillance arrivé près de Paris), composé par Yann ar Gwenn en 1839. La chanson raconte l'histoire d'une nourrice miraculeusement sauvée par son nourrisson alors qu'elle est agressée par un bandit. Bien plus tard, l'assasin Troppman, eut en 1870 une certaine popularité avec "Torfed Pantin greet e kichenn Paris e mis gwengolo er bloavez 1869" (Le forfait de Pantin perpétré à coté de Paris au mois de septembre 1869) de Vincent Coat puis en 1870, son "Poltred gwir…." (Véritable Portrait….) dans une version agrémentée d'un portrait. L'un des derniers récit est probablement celui composé vers les années 1910 par Taldir sur la Bande à Bonnot avec ce titre qui se passe de traduction : Gwerz nevez var sujet Bandiou en Auto hag o zorfejou horrupl…. .Quelques catastrophes ont également été relatées au public bretonnant : L'incendie du Bazar de la Charité en 1897. Les déraillements de train avec celui de Meudon en 1842, avec plus tard celui de Lagny en 1933..

L'émigration.
Au delà de l'information à sensation, un pan important des compositions est consacré à l'émigration des femmes vers la capitale. Composées dès la fin du 19ème siècle, le but évident de ces chansons est de dissuader les jeunes femmes de partir travailler à Paris. Le scénario est le plus souvent celui d'une fille, attirée par la facilité et le luxe de la vie parisienne, qui, arrivée sur place, déchante rapidement puis victime de l'ambiance, délaisse l'Eglise, la langue et les valeurs de ses ancêtres. Quand elle ne meurt pas, ravagée par les excès et le commerce des hommes, elle revient en Bretagne avec, au mieux des habitudes scandaleuses et au pire nantie d'enfants naturels. Le trait est forcé mais n'est pas sans une part de vérité quand on considère les conditions de travail du personnel de maison à la Belle Epoque, décrites par exemple dans le Roman "Donatienne" d'Hervé Bazin

Un exemble est celui de "Chom en Breiz-Izel" (Reste en Bretagne) par "Ar yeodet" (Yves Bocher)
Pell diouz da vro kolfez da c'hlanded - Koll rafes ive da furnez
Loin de ton pays, tu perdras ta pureté - Tu perdras aussi ta sagesse
Et du même auteur dans "Ar Barizianez" (La parisienne) sur l'air de la chanson du "pilhaouer"
Ar plac'h man n'eo ken Bretonez, rag he bro he deus nac'het
Cette fille là n'est plus bretonne, car elle a renié son pays
Foei, foei, foei d'ar Barisianez , a ra mez da dud he Bro
Fi donc de la parisienne, qui fait honte aux gens de son pays

On trouve dans "Mari-Jeann e Pariz" (Marie-Jeanne à Paris) traduite du français par Flour-Bruk (Jules Desmoulin), publiée dans certaines versions avec des tableaux particulièrement réalistes, une description de ce qui attend la candidate à l'émigration :
Pe e leac'h man pe e leac'h all - Ar kegin zo striz ha tenval
Laosk he dillad Breis da kostez - Evit dispign he follentez
Où ici où ailleurs,- La cuisine est étroite et sombre
Elle laisse son habit breton de côté - Pour s'adonner à sa folie

Les mères sont aussi interpellées dans "Ali d'ar mammo kisten; Janned en Ker" (Conseils aux mères chrétiennes; Jeannette en ville) par "Eur breizad" en 1895 :
Maintenant en chapeau et en robe, Jeannette est une citadine pour de bon
Brema en tog hag er robenn, Jannig da vad zo keriadenn
Elle a un enfant qui pleure, et un autre laissé à l'Hôpital
Eur buguel ganti o krial, eun all lezet d'an hospital

Francis Moal dans "C'hoant en doa mond da Bariz" (Elle avait envie d'aller à Paris) met en avant la désillusion
Kenavo Pariz, bro milliget , Bro al laeron ha bro dirollet
Gant da draou kaer ha da dour Eiffel, n'ez out ket koant evel Breiz-Izel
Adieu Paris, pays maudit, Pays de voleurs et pays de désordre
Avec tes beautés et ta Tour Eiffel, tu n'es pas aussi joli que la Basse Bretagne

On ne s'étonneras pas de trouver ces phrases dans les statuts de la Paroisse Bretonne de Paris en 1903.
"C'est alors que l'ivrognerie, à laquelle il est naturellement enclin, achève son œuvre, que l'anarchie le guette et qu'il roule promptement jusqu'aux bas-fonds de la société. Il apporte dans sa déchéance l'énergie de sa race , et pousse jusqu'à leurs conséquences extrêmes les doctrines qui l'ont perverti."

Dernier témoin de la débauche parisienne vue de Basse Bretagne, on trouve "Me yelo da Barriz" (J'irai à Paris) de Renan Perennes, petit format édité chez Cayla dans les années 50-60.
Me yelo da Barriz gant va chapeau breton ; Kuitad va dud keiz, bien loin de la maison
J'irai à Paris avec mon chapeau breton - Quittant mes pauvres parents, bien loin de la maison
Pa vezin er gapital, je saurai m'amuser ; Quand je serai dans la capitale, je saurai m'amuser
J'irai à Paris avec mon chapeau breton ; quittant mes pauvres parents , bien loin de la maison
Me ielo da zansal car je sais bien danser - J'irai danser, car je sais bien danser

Ces extraits mettent en lumière la vision que pouvaient avoir de Paris une partie des bretonnant dont les sources d'information étaient les chansons populaires.

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