CHANSONS EN BRETON SUR FEUILLES VOLANTES (retour sommaire) Par Serge Nicolas
Feuilles volantes: origine, utilité, pourquoi le succès, les raisons de la chute. 1-Les origines.
Les feuilles volantes ont leurs origines dans les débuts même de l'imprimerie. Les débuts des impressions de livres s'accompagnent assez vite de l'impression de feuilles ou libelles ayant une utilité essentiellement pratique: pétitions, chansons, nouvelles, etc. Ensuite les journaux prennent leur place avec la Gazette de Théophraste Renaudot en 1632. Le divorce apparaît rapidement entre la presse d'information et d'idées, et la presse à scandale ou sensationnelle : c'est l'époque des canards, qui publient en France, en Angleterre et ailleurs; des feuilles édifiantes ou relatant des catastrophes ou des crimes affreux. Il suffit de réfléchir un peu pour s'apercevoir que cet état a duré: comparer au XIXe siècle le Temps par rapport à l'Illustration; et ceci persiste jusqu'à nos jours, si l'on compare le Monde et Paris Match.2-Points généraux.
L'impératif initial était de diffuser une nouvelle, qu'il s'agisse d'informations ou de faits divers, ou d'informations pratiques (la diffusion des pommes de terre fin XVIIIe siècle par exemple). Le pouvoir, politique ou religieux, s'assurait parfois de la diffusion de feuilles dans le sens désiré, et dans cette matière, pas de place pour le débat: la presse en France, qu'elle date de l'Ancien Régime, de la Révolution ou des Républiques, n'a que très récemment connu une certaine liberté.On remarque, s'agissant de publications à bas prix, les contingences suivantes, imposées par des impératifs économiques: l'utilisation de papier de mauvaise qualité, fin, presque transparent, appelé " papier à chandelles ", ce qui est une des causes parfois de la mauvaise conservation des feuilles. Les illustrations, par définition coûteuses, existent mais sont rares et relativement simples. On note aussi l'utilisation de chutes de papier, de formats bizarres montrant bien que l'on a utilisé au maximum l'espace, ou même carrément quand il y a dans la chanson un ou deux couplets de trop pour le format, ils sont coupés sans scrupule.3-Le succès de la feuille volante.
Une des raisons du maintien de la feuille volante en Basse Bretagne est le cas particulier de la langue: de façon sans doute fortuite, l'existence d'une coupure linguistique entre Basse Bretagne et le reste de la France a assuré le maintien d'une littérature sur feuille volante du XVIIe au milieu du XXe siècle, car elle obéissait à une nécessité, et il n'y avait pas d'alternative; alors qu'ailleurs en France elle avait disparu, les langues régionales étant trop en butte avec le poids du Français.Le succès de la feuille volante est localisé au XIXe siècle en Basse Bretagne. Le manque d'intérêt des élites pensantes en général, en Bretagne et ailleurs, pour la langue; faisait que cette littérature considérée comme mineure s'isolait, se maintenant dans une pratique et un échange oral-écrit qui avait pour vertu principale d'en assurer la pérennité, tant que les circuits de diffusion se maintenaient, que les gens comprenaient la langue et que le public existait.
Le problème de la lecture se posait, mais assez peu: les gens sachant lire, que l'on peut considérer compte tenu des données sociologiques du XIXe siècle comme des intellectuels, n'éprouvaient pas tous un dégoût de commande et bien parisien pour les langues régionales: certains en étaient les promoteurs, et cela suffisait à assurer la diffusion, l'irrigation de nouvelles feuilles, lues en commun pour ceux qui ne savaient pas lire. L'intérêt des gens, la diffusion lente mais régulière d'une culture prosaïque et quotidienne, le besoin d'avoir des nouvelles sur ce qui se passe dans le monde, la nécessité d'obtenir une information qui rentre dans un cadre connu et le besoin de mémoriser explique d'une part la forme versifiée et l'utilisation de litotes et de formes convenues et connues de tout le monde. Cette adhésion au souhait du public explique le maintien de cette culture tant que le modèle était adapté.4-Les raisons de la chute.
Celle-ci survient au XXe siècle. Les raisons sont multiples: il y a des raisons internes à la Bretagne, et des raisons externes. On ne peut parler de désintérêt pour la culture bretonne. Disons simplement que la déclin de la feuille volante est dû au fait qu'il s'agit d'un support devenu inadapté, et donc en gros condamné à disparaître.
* Raisons internes:
1-Diffusion d'autres média concurrentiels (presse, puis radio, télé). Influence grandissante de la pénétration du Français comme langue de contact et d'échanges dans des couches de population qui jusque là étaient totalement et exclusivement bretonnantes.
2-Limitation et affaiblissement des circuits de diffusion qui étaient le support traditionnel du commerce des feuilles volantes: foires, marchés, pardons, colportage. Sauf le colportage, ces manifestations n'ont pas disparu, mais elles ne sont plus l'occasion et le support de ces "économies parallèles": la mendicité a disparu ou est contrôlée, les occasions de se distraire ou de se cultiver ne sont plus exclusivement liées à ces manifestations ou sont récupérées par le commerce, ce qui n'était pas le cas autrefois.
* Raisons externes:
1-Les feuilles volantes, héritières des "canards" diffusés sous cette forme avaient disparu en France depuis 100 ou 150 ans, leur maintien en Basse Bretagne était devenu une survivance de type archaïque et ne pouvait se maintenir. Les imprimeurs ne sont pas des philanthropes et n'ont intérêt, au delà de la culture en tant que telle, que d'imprimer ce qui se vend.
2-Il y a une dégradation qualitative du répertoire sensible depuis la fin du XIXe siècle, pas dans la langue mais dans la structure des textes et des airs qui les accompagnent. Les grandes et longues chansons faites de quatrains de vers à treize pieds disparaissent au profit de chansons plus courtes, à versification plus libre. Les airs aussi sont influencés de manière plus nette avec l'influence du café-concert parisien et des chansons qui vont avec. Bourgeois s'en plaignait déjà en 1885...