CHANSONS EN BRETON SUR FEUILLES VOLANTES (retour sommaire)

Par Serge Nicolas

Sources employées

Introduction
La feuille volante (FV) a certainement une origine et une inspiration traditionnelle, c'est à dire issue du milieu populaire, et à travers lui du corps social en entier. Il a été vu comment ces FV, adaptées au milieu en question, véhiculaient les idées et les thèmes attendus, c'est ce qui a fait leur succès. Il a été vu aussi comment les questions linguistiques et politiques ont pu créer une césure entre les milieux savants ou les couches supérieures de la société, et les milieux plus humbles pratiquant la langue et véhiculant les idées traditionnelles. Cette césure, qui a provoqué et favorisé un certain isolement et repli sur soi, a favorisé aussi le maintien de cette littérature, et des idées qu'elles véhiculaient.
Non qu'il y ait évidemment des exceptions: de tout temps, il y a eu des intellectuels ou des personnes de la haute société qui ont pu garder le souvenir ou l'intérêt envers la langue ou les domaines traditionnels et en sentir la valeur, et qui ont pu par leur pouvoir initier des actions.
Cette césure, provoquant donc isolement et repli sur soi, doit être nuancée: il a été dit aussi que la surveillance des autorités, laïques ou politiques et religieuses aussi, ne pouvait pas ne pas s'exercer à ce niveau comme ailleurs. Pas question donc de voir des idées archaïques (survivances païennes par exemple) ou des idées politiques hétérodoxes se diffuser par ce média.
L'isolement et le repli sur soi doivent aussi être relativisé, car les gens étaient curieux de nouvelles fraîches et sensationnelles de préférence, et les contacts existaient, c'était une nécessité, par le biais des échanges, commerciaux ou autres, à l'échelon local, régional, national ou international.

1-Local,

C'était le monde des colporteurs d'articles et aussi de nouvelles, des pardons et marchés locaux;

2-Régional

C'étaient les grandes foires et échanges entre terroirs, par exemple les maquignons léonards centralisant à Landivisiau une grande partie des chevaux de Basse-Bretagne. La religion était parfois le prétexte de ces échanges, ainsi les voyages ou pèlerinages à Saint Jean du Doigt, au Kreizker à Saint Pol, à Saint Anne à Auray, attiraient tous les terroirs.

3-National

Par les échanges de main-d'oeuvre. L'émigration ne date pas d'hier, là comme ailleurs, et il y avait par exemple des migrations saisonnières de Bretagne vers la Beauce lors de la saison betteravière; l'armée était un autre pourvoyeur d'échanges et d'expériences relatées et partagées ensuite. Du temps où la France avait un empire colonial, les échanges actifs centralisés dans les ports de commerce ou les ports militaires agissaient longtemps et en profondeur dans la société. Tout le monde avait un parent, un cousin, un neveu; parti dans les colonies qui en ramenait des produits étranges et des souvenirs merveilleux.

4-International

Outre ce qui a été dit sur les ports et échanges, ne pas oublier que les échanges internationaux de biens et de produits, étaient aussi une nécessité avant les transports rapides et de masse existant maintenant, et qui ont le tort de tout centraliser au MIN de Rungis près de Paris. Citons par exemple les maquignons léonards toujours, exportant les chevaux vers l'Angleterre, les marchands de primeurs et d'oignons, sans compter l'importation du charbon gallois en Bretagne avant l'arrivée du chemin de fer. Les pêcheurs anglais, irlandais ou espagnols fréquentaient aussi les eaux et les ports du pays.
Tout ceci crée donc un climat, un humus fertile dans lequel jouent diverses influences, et dans lequel la chanson se crée et prospère.

Comment était-elle créée ? Là est le premier problème. Le schéma le plus courant est celui d'une création rurale, collective, anonyme, dont l'archétype est bien décrit dans le Barzaz Breiz de La Villemarqué (Introduction, p. XXXVII). Ce schéma existe bien sûr, mais il a été adopté avec passion, parfois aveuglement; et son défaut principal est, quand on le suit aveuglément, de stériliser tout le reste, et surtout ce qui est venu après lui. Ce schéma est partiel, et partial, et voici pourquoi.

1-Il est partiel, tout d'abord parce que La Villemarqué n'a jamais dit que ce soit un modèle exclusif. Il faudrait, ce qui est de bonne critique, replacer les choses dans leur contexte. La "querelle du Barzaz Breiz" a fait couler assez d'encre sans y revenir ici. Un point dans le débat est intéressant en ce qu'il éclaire un peu cette problématique.
Dans le travail de La Villemarqué, l'époque compte bien sûr, et la façon de travailler joue beaucoup. Ainsi, La Villemarqué fait ses recherches, met en place un cadre dans lequel elles rentrent bien, selon les canons de l'époque, comme c'était le cas dans les recherches sur le Kalevala en Finlande, ou en Allemagne avec les contes populaires à la même époque. Il met en oeuvre, travaille les textes, rabote les aspérités de textes parfois crus; pensant par là donner plus de valeur au répertoire, il fusionne et synthétise les versions, puis il les publie. L'erreur à ne pas commettre est de penser que La Villemarqué devait travailler avec nos critères actuels: on travaillait comme cela à son époque. Et cela explique l'incompréhension dès l'origine, en particulier avec Luzel par exemple. Cette polémique existe, mais le débat étant clos, du moins en ce qui concerne La Villemarqué, il ne faut plus être prisonnier des stéréotypes qu'il a proposés et non imposés.
Son schéma était partiel car rural, ce qui excluait tout le monde maritime, et celui des villes et petits commerçants, fonctionnaires ou artisans qui y vivaient, et qui n'ont aucune raison d'être exclus à priori du monde traditionnel, dont en plus ils étaient le plus souvent issus.


2-Son schéma était partial car il supposait un collectivisme utopique qui n'a pas existé, et qui fait penser à l'idéologie de la Russie de l'époque, travaillée par les mouvements révolutionnaires, tandis que les nobles et la cour russe idéalisaient le bon moujik, illettré, religieux et fidèle au tsar. On sait où cela les a menés. Le parallèle est parfois frappant avec l'iconographie qui est donnée du bon paysan breton travailleur, priant Saint Isidore, fidèle à la noblesse plutôt qu'aux besogneux de la ville, et attendant les biens des cieux plus que ceux de la terre... Transposition pure et simple de l'image du bon moujik en Basse-Bretagne, entachée de présupposés traditionalistes, du côté péjoratif de cette idéologie.


Bien sûr, en Bretagne, la civilisation rurale est besogneuse sinon pauvre, mais elle est ou était en tout cas fortement structurée et hiérarchisée, ainsi d'ailleurs que surveillée, par les autorités, le clergé, le fisc et les gardes-champêtres; tous intervenants qui ne sont finalement en règle que des fils de la campagne ayant quitté la terre par souhait ou nécessité. Le monde rural aime sa tradition et la création, les nouvelles, etc., mais il a tendance pour cela, en employant une expression moderne, à sous-traiter. Il y a à cet égard des intervenants traditionnellement connus, tels que les tailleurs, qui vont de ferme en ferme travailler. Il y en a d'autres, nomades ou semi-nomades par nécessité plus qu'autrement. Colporteurs, mendiants, pèlerins par procuration; tous ces gens sont parfois des chanteurs professionnels, cette profession complétant leurs ressources.
Un grand danger est de céder à l'angélisme primaire qui serait de considérer à priori comme "bien collectif" la création ainsi mise en avant. Or, c'est là une préoccupation actuelle plus que celle de l'époque, entachée de présupposés idéologiques, nullement celle de l'époque qui l'a vue naître. Au contraire, le créateur, de si basse extraction soit-il, quand il accède à une semi-notoriété suffisante pour qu'on fasse appel à lui, ou même pour voir ses chansons imprimées sur FV et vendues, s'empresse-t-il de mettre son nom au bas des feuilles, pour en assurer la propriété, et augmenter son renom. Le soi-disant "bien collectif" aurait pour l'auteur un autre effet pervers, celui de le bâillonner, de le priver de parole. Prendre ses créations, c'est le priver de son bien. A l'époque à la rigueur, cela était de peu de conséquences car une nouvelle chanson était vite composée. Actuellement, le dégât est bien plus grave car les circuits de création et de communication de chansons sont bien plus altérés, et les chanteurs ou chanteuses ne sont pas immortels... On retourne au problème tradition-transmission.

I- Les sources employées
Au delà de la création collective et de la création d'auteur, se pose vite la question des sources employées. En effet, le chant s'inspire de bien des thèmes. Quand il "rime" sur un fait divers ou un événement dont il a directement connaissance, l'auteur trouve son inspiration en lui-même. Quand il obéit à une "commande" précise comme cela arrive, il utilise d'autres sources en général imprimées:
* les journaux,
* les livres de religion,
* les traductions d'hymnes ou de cantiques.
Il n'est pas possible d'objecter à ces faits l'analphabétisme ou la méconnaissance du Français, nécessité fait loi, et en cas de besoin, les compositeurs se faisaient lire / traduire le journal, et rimaient leur chanson dans leur tête en breton.


1-Les journaux.
Il y a une connivence ancienne entre journaux et FV. Cela tient tout simplement à leur origine commune. La FV peut en effet être considérée comme la survivance d'une forme archaïque de prototypes de journaux. On a déjà évoqué la question des canards du XVIe siècle, perdurant jusqu'à nos jours, au point qu'en argot français, le mot canard désigne toujours le journal, ainsi que l'opposition, également toujours d'actualité, entre la presse d'idées et la presse à sensation.


2-Utilisation de livres et de cantiques.
Il y a souvent une commande initiale, et celle-ci est souvent religieuse. Les autorités laïques n'interviennent que rarement dans le domaine des FV et se préoccupent peu de faire traduire des ouvrages, sauf quand il y a nécessité ou bénéfice immédiatement perceptible. Ainsi, ce sera au XVIIIe siècle l'Evêque de Saint Brieuc qui fera composer des chansons favorables à la culture des pommes de terre, ce qui lui vaudra le surnom bien mérité d' "Eskob ar Patatez", l'Evêque des patates. La surveillance du clergé local était serrée également, les autorités utilisant les FV comme moyens de lutte contre l'obscurantisme.


Voici un exemple du cosmopolitisme des sources: le cantique de Sainte Philomène, édité à Morlaix en Breton vers 1850, dont le dernier couplet dit, une fois traduit:

Cette ballade est tirée d'un petit livre
Imprimé à Paris dans le livre de Lauzan
Approuvé par les docteurs de l'Italie
Signé par l'Evêque de Lauzan, appelé Pierre Tobie.

3-Traduction d'hymnes, etc.


Beaucoup d'hymnes ont été traduits, de la Marseillaise à l'Internationale, en passant par les importations comme l'hymne gallois devenu avec de nouvelles paroles l'hymne breton, "Bro Goz ma zadoù". A l'opposé sur l'échiquier politique, on ne trouve guère que quelques chansons royalistes basées sur Jeanne d'Arc, ou Henri IV.

 

Sommaire

Contact